Dans Solange et les vivants, le personnage qu’elle interprète est en proie à un mal mystérieux : dès qu’elle se retrouve seule, elle s’évanouit. Une galerie de personnages se succède donc à ses côtés pour lui apporter un soutien salutaire bien que passager. L’argument est problématique d’emblée si l’on considère que le discours-Internet de Solange tend, au contraire, à faire l’éloge de la solitude. Son confinement peut parfois être angoissant, mais il lui permet d’accéder à un regard qu’elle juge plus juste, plus lucide et plus attentif aux bizarreries du quotidien.
Ce sont les autres êtres humains à l’aise dans le monde qui sont envisagés comme des créatures étranges. On peut expliquer ce décalage : l’histoire raconte davantage la genèse du personnage, mettant au premier plan des doutes en dissonance avec la béatitude burlesque et parfois jubilatoire que l’on trouve dans ses pastilles.
Le film explore les fondements de ce ton précieux et malicieux, il en exhibe les racines malheureuses, la dépression pionnière. L’œuvre semble donc scindée entre deux envies : elle tente à la fois de capturer l’esprit Solange qui a conquis certains internautes rétifs au changement tout en s’en écartant timidement par une tentative de mise en scène plus distanciée et par le choix d’un personnage légèrement différent, encore en gestation. Pourtant, tiraillée entre une tradition de cinéma autobiographique et un désir de sortir de soi, Solange montre que le solipsisme est une maladie dont on ne guérit pas si facilement.
Parmi les innovations différenciant ce long-métrage des apparitions habituelles de Solange, se trouve l’angle par lequel elle choisit d’aborder la mise en scène de son corps. Elle abandonne le plan rapproché et les confessions à la caméra qui l’accompagnent pour élargir le spectre du champ et nous donner à voir autre chose qu’un visage pris dans un discours. Des pieds aperçus en gros plan dans la première scène jusqu’aux plans moyens d’un appartement dans lequel Solange semble perdue dans le blanc d’un décor, la caméra s’éloigne progressivement du blason pour épouser plus singulièrement la géographie de la solitude : un personnage erre dans un espace trop vaste qu’il est contraint habiter. Dès lors, Solange ne te parle plus réellement, elle ânonne en voix off des propos non adressés comme le spectre qu’elle est devenue.
Ce tarissement poétique de la parole jusqu’au silence est redoublé visuellement par l’évanouissement littéral du personnage qui semble manifester, ne serait ce que par sa blancheur, un désir constant de disparition. Cet évanouissement est relayé par les nouveaux personnages que Solange fait défiler devant la caméra au gré des différents chapitres. Vieil amant belge, voisine qui vient d’accoucher, parents restés au Canada, clubber invétéré, familiers ou inconnus, ils nous sont présentés comme autant d’intrus qui tentent d’avoir une prise sur son mal-être, de l’interpréter et d’y remédier à leur façon.