28 FÉVRIER 2011

Amendements et traités : comment éduquer "les sauvages"...

Quelques étapes historiques du système canadien bien embarrassé par ces Indiens peu malléables à la culture des Blancs. D'où la naissance des "pensionnats" pour éloigner les enfants de leurs origines et mieux les "intégrer"...

LA NEGOCIATION DES TRAITÉS Les Indiens voulaient des écoles sur les réserves, car ils comprenaient que leurs enfants devaient apprendre à lire, à écrire, pour être capables de survivre dans la nouvelle société qui était en train de se former. De ce fait ils refusèrent de signer les Traités qui n'incluaient pas une clause concernant le droit à l'instruction des enfants. Témoin cet extrait du Traité n°6 de 1876 : “Quand vous déciderez d'aller dans les réserves, la Reine sera prête à vous fournir une école et des enseignants… Ne vous préoccupez pas de savoir ce que vos enfants vont manger. Vos enfants seront éduqués et aussi capables de prendre soin d'eux-mêmes que les Blancs autour d'eux.” La volonté du gouvernement était de “civiliser”, cependant il n'y avait aucune politique précise concernant l'éducation. Celle-ci était confiée aux missionnaires qui étaient considérés comme les instruments adéquats pour convertir et civiliser à moindre frais ceux que la Loi sur les Indiens promulguée en 1876 désigne sous le nom de “Sauvages”. DES ENFANTS COUPÉS DE LEURS RACINES Le système des pensionnats > En 1879, aux États-Unis, le capitaine Richard Henry Pratt fonde la première école résidentielle (Carlisle Indian School) rapidement suivie par plusieurs autres, disséminées dans tout le pays. Nicholas Flood Davin est délégué par le gouvernement canadien pour rendre compte de l'efficacité du système d'acculturation du capitaine Pratt. Son rapport met en évidence les points suivants : - Les Américains étaient parvenus à la même conclusion que les Canadiens : “très peu pouvait être fait” avec l'Indien adulte. - Les Américains s'étaient également rendus compte que les écoles établies dans les réserves avaient échoué dans leur mission de rendre les enfants plus malléables que leurs parents. - En conséquence de quoi, il fallait que les enfants soient éloignés de l'influence familiale. Dans son rapport, Davin recommandait vivement que le système américain, désigné sous le nom de “civilisation agressive”, soit étendu au Canada et qu'il fallait y associer les missionnaires afin qu'ils inculquent aux enfants les principes chrétiens fondamentaux. Il précisait que “l'exemple américain montrait bien que si quelque chose pouvait être fait avec l'Indien, il fallait le prendre très jeune”. Conformément aux instructions gouvernementales concernant les écoles résidentielles, la distance entre l’école et la réserve devait être suffisante pour décourager les enfants de fuguer et les parents de venir leur rendre visite. Ainsi, la plupart des enfants ne voyaient leurs parents qu'une ou deux fois par an à l'occasion des vacances d'été et de Noël. À partir de 1888, les pensionnats firent leur apparition dans le pays. En 1907 un rapport établi par P.H. Bryce, Officier Chef du département médical des Affaires Indiennes montre les conditions de vie effroyables qui règnent dans les pensionnats : “Au cours des dix dernières années, sur l'ensemble des enfants ayant fréquenté les pensionnats, 70% étaient malades ou dans une forme physique précaire alors que 24% étaient morts.” A la suite de la publication de ce rapport, les conditions sanitaires des écoles résidentielles furent améliorées. Cependant, malgré les pressions effectuées par les agents des affaires indiennes et par les missionnaires, les parents refusaient de plus en plus d'envoyer leurs enfants dans ce qu'ils commençaient à ressentir comme un piège mortel.> L'amendement de 1920 En 1920, le gouvernement apporta un amendement à la Loi sur les Indiens qui rendit l'école obligatoire pour les enfants autochtones. Le même amendement permettait à Ottawa d'obliger les Indiens à renoncer à leur statut et prévoyait d'en priver automatiquement ceux qui par miracle accéderaient à des études supérieures : “Tout Sauvage auquel sera conféré le degré de docteur en médecine ou tout autre degré par une université d'enseignement, ou qui sera admis par une province du Canada à l'exercice de la profession légale comme avocat, ou comme conseil solliciteur, ou procureur, ou qui entrera dans les ordres sacrés (...) deviendra et sera ipso facto émancipé sous l'ordre du présent acte.” (Cet article ne sera abrogé qu'à la fin des années cinquante.) Duncan Campbell Scott, député et surintendant général aux Affaires Indiennes, résuma ainsi l'intention de cet amendement : “Notre objectif est de continuer ainsi jusqu'à ce qu'il n'y ait plus un seul Indien au Canada qui n'ait été absorbé par le corps politique et de cette manière il n'y aura plus de question Indienne, ni de département des Affaires Indiennes ; c'est le but poursuivi par cette Loi.” De 1920 à 1969 : la systématisation de la politique d'acculturation A partir de 1920, le nombre de pensionnats augmenta sensiblement et le nombre des enfants Indiens enrôlés bondit de 110% de 1912 à 1932. Ce n'était toujours pas suffisant pour le gouvernement qui en 1930 renforça encore la Loi : A présent les parents pouvaient être mis en prison si leurs enfants n'allaient pas à l'école. En 1940, environ la moitié des enfants Indiens du pays était répartie dans les 66 pensionnats officiels. Malgré les fugues, le décrochage scolaire, les suicides, les protestations des parents qui commençaient à s'organiser en comités, les pensionnats fonctionnèrent jusque dans les années soixante. Les derniers fermèrent au début des années quatre-vingt. Dans ces pensionnats dirigés par des religieux (majoritairement catholiques et anglicans) et financés par les gouvernements, les enfants sont rasés et revêtus d’uniformes. Il leur est interdit de parler leur langue et de pratiquer leurs coutumes. Ils y subissent des sévices (y compris sexuels) et des humiliations de toutes sortes. De retour dans leurs communautés, ces enfants ont perdu tout respect d’eux-mêmes. Sans ancrage culturel, privés de reconnaissance sociale (ils n'ont pas appris grand chose dans ces écoles), ils dérivent en marge de leur propre société. Tellement dépossédés qu’ils ne savent plus comment éduquer leurs propres enfants. A partir des années soixante, les pensionnats ferment. Les derniers seront fermés au début des années quatre-vingt. Récemment, la divulgation des pratiques abusives dont ont été victimes les enfants dans des écoles “résidentielles” a suscité un certain émoi au Canada. Le silence est enfin brisé et les récits se multiplient, levant le voile sur les traumatismes profonds résultants de cet ethnocide. Des milliers de procès ont lieu à travers tout le pays impliquant les anciens pensionnaires, les Eglises et le gouvernement. Devant l'ampleur de ce phénomène, le gouvernement a mis au point en 1997 un plan d'action pour les questions autochtones. Le gouvernement a fait une déclaration de réconciliation dans laquelle il reconnaît avoir mené une politique de répression de la culture et des valeurs autochtones. Il y exprime “ses plus profonds regrets”. Afin de “panser les blessures laissées par le régime des pensionnats”, le gouvernement du Canada met en place “la fondation pour la guérison” qui a permis de mettre en place des programmes pouvant aider cette guérison. Ces programmes font appel à des techniques occidentales ainsi que traditionnelles. La politique d’acculturation se poursuit... Les pensionnats ne furent pas les seules intrusions dans les collectivités autochtones. Dès le début des années soixante, des travailleurs sociaux ont enlevé des milliers d'enfants à leur famille et leur culture pour les confier à des agences privées d'adoption et de placement. En 1980, les chefs de Bande du Manitoba se rendent compte que les enfants disparaissaient en grand nombre. Ils demandent alors une enquête publique. Elle sera confiée au juge Kimelman.LES ÉCOLES Depuis 1970 sont apparues de nouvelles écoles. Situées sur les réserves et contrôlées directement par les communautés, on y enseigne la culture et l’histoire du point de vue des autochtones. Les enfants y réapprennent la langue traditionnelle. Ils y reçoivent une éducation basée sur les deux cultures qui doit leur permettre d’évoluer dans les deux sociétés. > BLUE QUILLS, la première école autochtone autogérée au Canada. Le premier affrontement direct au Canada au sujet du contrôle de leur éducation par les Indiens eut lieu dans le nord-est de l'Alberta en 1970 à Blue Quills, un ancien pensionnat fondé par les pères Oblats au milieu du dix-neuvième siècle sur la réserve de Saddle Lake. A la fin des années soixante, les Indiens se regroupent en comités et revendiquent la participation active à leur éducation. La fermeture de Blue Quills est décidée. Mis devant le fait accompli, le comité scolaire de Saddle Lake présente une requête au département des Affaires Indiennes, demandant la possibilité de gérer eux-mêmes l'école. Le ministère restant muet, le 14 juillet 1970 un sit-in commence à Blue Quills. Pendant plusieurs semaines des chants, des danses et des cérémonies traditionnelles ont lieu dans le gymnase. Les médias s'emparent de l'affaire. Sous la pression, des meetings sont organisés à Ottawa. Finalement le gouvernement accepte le projet à titre expérimental. Le 1er septembre 1970, Blue Quills devient la première école du Canada administrée par les Indiens. Au cours de la cérémonie d'ouverture, un orateur autochtone dit : “...C'est seulement maintenant que les Indiens peuvent se dire égaux aux yeux de tous. La vérité à propos de la culture des Indiens, ainsi que de la politique et du mode de vie imposés par l'homme blanc, pourra enfin être enseignée...” Des cours en langue Cree sont intégrés au cursus. La fréquentation augmente et l'école offre des cours de niveau secondaire aussi bien qu'élémentaire. En 1972, prenant Blue Quills comme modèle, la Fraternité des Indiens du Canada (ancêtre de l'actuelle Assemblée des Premières Nations) propose un système d'écoles contrôlées par des conseils de bandes, dans lesquels les parents indiens auraient au moins une voix. En 1973, Ottawa admet le principe des Indiens contrôlant eux-mêmes leur éducation. Aujourd'hui, environ 28% des 82 000 enfants Indiens scolarisés fréquentent des écoles contrôlées par les autochtones. Extrait du rapport d'enquête présenté en 1982, par le juge en chef Edwin Kimelman, de la cour provinciale du Manitoba : “Nul ne comprend que plus de la moitié de ces enfants soient confiés à des familles à l'extérieur de la province. Nul ne comprend que presque tous ces enfants sont d'ascendance autochtone (…)” Extrait des audiences publiques tenues par la Commission Royale sur les Peuples Autochtones, à l'automne 1993 : Ken Richard, “Native Child and Family Services” de Toronto : “Les organismes non-autochtones d'aide à l'enfance imposent des solutions destructrices aux problèmes de familles ou de mères célibataires autochtones, en arrachant les enfants à leur foyer. Souvent les parents de ces enfants sont eux-mêmes des produits de l'aide à l'enfance ou des pensionnats (...) Pour devenir de bons parents, les adultes ont besoin de guérison et non d'être punis par la perte de leurs enfants.” Les services sociaux Depuis, les autochtones développent leur propre système d'aide à l'enfance afin de garder les enfants placés au sein de la communauté. Cette solution permet aux enfants de grandir avec leur culture et à la communauté de garder ses enfants. Un enfant ne peut plus être placé sans que sa communauté d'origine n'en soit avertie.